lundi 29 février 2016

Santé/pesticides





Communiqué des Phyto-Victimes


La santé sacrifiée pour enrayer la crise ?

Le salon international de l’agriculture (SIA) a ouvert ses portes samedi au parc des expositions de la porte de Versailles (Paris), sur le thème d’une agriculture et d’une alimentation citoyennes.


Cette 53ème édition se déroule sur fond de crise agricole extrême, les agriculteurs sont là pour défendre leur avenir auprès des politiques. Nous comprenons bien évidement leurs inquiétudes, mais toutes ces négociations ne devront pas faire oublier la problématique de l’impact des pesticides sur la santé des utilisateurs et des riverains.


Phyto-victimes dénombre chaque année de plus en plus de malades suite à une exposition  professionnelle prolongée aux pesticides.


La diffusion de Cash investigation sur France 2 a permis de mettre une nouvelle fois en évidence la dangerosité de ces produits aussi bien sur la santé des utilisateurs, des riverains ou des consommateurs.  Monsieur Le Foll, ministre de l’agriculture, a pris l’engagement de rendre public et accessible l’intégralité des documents indiquant la composition exacte des pesticides.

Il est urgent que ces promesses se traduisent rapidement en acte concret. A ce jour, Phyto-Victimes demande l’accès à ces informations afin de permettre aux victimes d’obtenir une reconnaissance en maladie professionnelle.


Phyto-Victimes travaillera pour que les politiques tiennent leurs engagements et que les syndicats s’emparent enfin du problème « santé/pesticides » et ne se contentent pas d’apparenter ce sujet à des contraintes environnementales supplémentaires.


L'Association Phyto-Victimes
Beauregard 16700 Bernac
contact@phyto-victimes.fr
06.74.78.88.27





Journal de l'environnement


Glyphosate: le torchon brûle entre l'EFSA et le CIRC



Journal de l'Environnement - le 19 février 2016





Le 11 mars Riccardo Petrella animera à partir de 20h30 à la médiathèque d’Orléans la conférence débat:

"Au nom de l’Humanité, l’audace militante."






jeudi 25 février 2016

Le mur de l'eau, la négation du droit humain à l'eau (4)




Riccardo Petrella  
 animera le 11 mars à la médiathèque d’Orléans à partir de 20h30  une conférence débat: “Au nom de l’Humanité, l’audace militante."


Vous y êtes cordialement invité-e-s






LE  MUR  DE L’EAU
(4è partie)
La négation du droit humain à l'eau
               
Document de recherche de l’IERPE
Rédigé par Riccardo Petrella
Novembre 2015




3. Une proposition
       
       Le mur doit et peut être abattu. Il ne s’agit pas d’une action dans le court terme car, pour émietter les matériaux sur lesquels il a été construit, il faut  faire tomber  une série d’éléments fondamentaux de l’architecture actuelle de la “maison européenne ». On peut, à mon avis, démolir graduellement le mur si une partie des représentants élus au Parlement européen, ensemble et avec le soutien d’élus nationaux, régionaux et locaux, organisait une véritable « guériglia constitutionnelle politique » pour sauver la démocratie européenne et re-constitutionnaliser la société des droits et des biens communs publics en Europe en partant notamment de l’eau.

Par « guériglia » on entend souligner l’importance que le monde des élus (au plan européen, des Etats membres, des régions dont les compétences primaires en matière d’eau sont de plus en plus menacées, et des communes dont la traditionnelle autonomie est en train de devenir un souvenir) intervienne quotidiennement pour modifier les nombreuses (“petites”) dispositions législatives de nature substantielle, organisationnelle et procédurale qui ont conduit à la construction du mur. Un mur cimenté, comme on l’a vu, surtout par un système monétaire et financier fondé sur une répartition des compétences et des pouvoirs de plus en plus inégalitaire, à l’avantage des sujets technocratiques et des intérêts des plus forts et au désavantage des sujets et des institutions publics..

Nous proposons la mise ne place d’un travail permanent et coordonnée de dénonciation et proposition de modification des dispositions existantes en matière d’eau, des semences, de l’agriculture paysanne et durable, sur les liens entre l’eau, l’industrie agro-chimique et pharmaceutique et les marchés de la santé. Il s’agirait de s’attaquer à l’inacceptable importance  acquise dans les processus décisionnels par de centaines de comités, agences, programmes vers lesquels l’UE a « délocalisé » des fonctions-clé d’analyse, d’ évaluation et de gestion, par exemple, dans le domaine de l’innovation technologique, de la transition  énergétiques, de la compétitivité, de la promotion des PME, des start up et des “smart cities” ; de la soi-dite lutte contre la pauvreté, des programmes  culturels …Des pans entiers des responsabilités de la Commission ont fait l’objet d’une mainmise directe  par l’armée des « stakeholders » (« les porteurs d’intérêt ») devenus les chouchous de nos classes dirigeantes La « démocratie des stakeholders » est la grande innovation politique dont sont fiers les constructeurs actuels de l’Europe à la dérive. (31) Le parlement européen est d’ailleurs une des principales victimes. Intervenir avec détermination, compétence et rigueur, par des actions communes aux différents niveaux territoriaux, permettrait certainement de réaliser des modifications importantes au plan formel, réglementaire et de substance qui pourraient ouvrir des brèches dans le mur et le reste de l’édifice.  Les mouvements citoyens pourraient collaborer en tant que “puits” de connaissances, d’expertises et d’expériences généralisables.  Ils seraient non pas au service émietté et moléculaire, comme à l’heure actuelle, d’un tel ou tel autre parlementaire et/ou groupe de parlementaires, mais d’interventions communes européennes « trans-territoriales ». 

Les lobbies des stakeholders économiques sont  puissants parce qu’ils forment des espèces de “syndicats” de compétences et de connaissances. Les mouvements citoyens ne peuvent pas apporter aux élus  un soutien efficace important  si les élus et eux-mêmes  restent branchés sur leurs propres arbres. Les changements structurels interviennent après de nombreuses années de révolte, de luttes, de modifications des lois, des procédures et des institutions. L'expérience historique nous dit que  si des élus entamaient la guériglia avec détermination et de manière coopérative, de centaines d'associations et des milliers de citoyens se lèveront et deviendront les jambes dont on a besoin. 

Tableau
Les dates clé de la construction du mur
Calendrier sommaire



Note
(31) La « démocratie des stakeholders » est ce que les groupes dominants appellent « la gouvernance ».  


 



dimanche 21 février 2016

Le mur de l'eau, la négation du droit humain à l'eau (3)






LE  MUR  DE L’EAU
(3è partie)
La négation du droit humain à l'eau
               
Document de recherche de l’IERPE
Rédigé par Riccardo Petrella
Novembre 2015



2. Le mur de l'eau.  Comment le démolir. 
      
 Le mur de l’eau a été construit au cours des 25 dernières années. Bien qu’en usage depuis longtemps, les matériaux de construction ont été utilisés à partir des années ’90. Prenons, par exemple, le premier matériau de base: le principe selon lequel, dans une société capitaliste,  un bien est un bien économique, à savoir privé, s’il fait l’objet de rivalité et d’exclusion.  Elaborées par l’américain Paul Samuelson en 1950, Prix Nobel de l’économie en 1970, les théories sur le « bien économique » ont permis aux groupes dominants d’entamer un processus de renversement des théories économiques sur les droits humains et l’économie  du welfare.
    
    Ils ont soutenu  que non seulement l’eau mais la grande majorité des biens (et services) essentiels et indispensables pour la vie, donc instrumentaux au droit à la vie individuelle et collective, font l’objet de rivalité et d’exclusion. Ils ont, dès lors, soutenu que ces biens (et services) doivent être traités principalement comme des biens économiques (aujourd’hui on dirait de « relevance économique ») et, par conséquent, soumis  aux principes et aux règles de l’économie  de marché. (23) Lorsque les  forces hostiles à l’économie du welfare et à l’intervention de l’Etat dans l’économie ont conquis le pouvoir politique dans les années ’80 (Reagan, Thatcher…) , la communauté internationale devint proie privilégié des grandes vagues de globalisation libériste prédatrice et affirma en 1992 (Conférence de l’ONU sur l’eau à Dublin en préparation de la Conférence de l’ONU sur le développement durable (appelée « Premier Sommet de la Terre) à Rio de janeiro (juin 1992) que l’eau devait être considérée principalement comme un bien économique et non plus comme un bien social, patrimoine public, bien commun de l’humanité. Cette affirmation est connue en tant que « troisième principe de Dublin ». (24).

      D’où, le deuxième matériau : la thèse que la valeur d’un bien (et d’un service) se définit et naît dans le marché, par le marché, aux coûts du marché.  La  valeur de l’eau ne résiderait pas dans sa valence et prégnance pour la vie ni uniquement dans sa valeur d’usage, mais  essentiellement dans  sa valeur d’échange. Le droit à l’eau comporte des couts considérables, monétaires et non, et requiert des infrastructures et  des compétences managériales que  - a-t-on soutenu - seules des organisations privées à finalité  industrielle et commerciale,  habituées à la compétition internationale, seraient en mesure de garantir. (25) Face, en outre, aux phénomènes de raréfaction croissante des ressources hydriques dans la qualité bonne pour des usages humains, accentuée par les désastres environnementaux, les groupes dominants ont répandu et faut croire l’idée qu‘il est devenu impossible pour les autorités publiques de financer les coûts par le biais de la fiscalité générale et spécifique. Ils sont repris les thèses déjà mentionnées de la nécessité de faire payer les coûts aux consommateurs/utilisateurs par le paiement d’un prix abordable en fonction de la consommation et des usages. Le droit humain à l’eau a ainsi laissé le champ des rapports publics d’engagement et de responsabilité entre, d’une part , la communauté (les collectivités locales, l’Etat, l’Europe et la communauté mondiale) et, d’autre part, les citoyens, selon des règles contraignantes pour tous, pour entrer dans le champ des relations contractuelles de nature privéé commerciales entre prestataires de biens et services et utilisateurs/clients. L’utilité respective ressentie par les acteurs en présence est deveneu la norme de référence. L‘idée de droit n’est plus de la partie.

      Enfin, le mur de l’eau a été renforcé et stabilisé par des matériaux  de cohésion et de contrôle propres d’une économie capitaliste. Je me réfère à la financiérisation des biens et des services communs publics selon une logique de rendements compétitifs au niveau mondial. D’où les processus de monétisation des corps hydriques, bassins hydrographiques inclus (water pricing) et des éco-systèmes en général (nature pricing) et, depuis quelques années, de bancarisation de l’eau et de la nature (nature banking). (26) Les constructeurs d’un modèle économique de l’eau marchand et financier se sont dotés d’un ensemble d’instruments financiers, pour des marchés financiers très spécialisés et complexes, échappant au contrôle des Etats et des autorités publiques, dominés , en revanche, par la violence de puissance et d’enrichissement à court terme des acteurs les plus forts et les plus ravageurs. La mainmise du monde des droits par les logiques financières privées est quasi achevée. Même dans le cas de gestion publique (par des entreprises publiques), de gestion par des entreprises à capital entièrement public ou par des entreprises coopératives d’intérêt collectif, la logique financière de la rentabilité du capital s’est imposée.  Le mur de l’eau a ainsi atteint sa troisième phase finale, celle de la financiérisation après les phases de marchandisation/libéralisation et de privatisation et de-constitutionnalisation de la fonction du « service public ».(27)

      Les tout derniers actes de consolidation du mur, de sa légitimité et inévitabilité, font partie de la chronique récente. On pense au rapport présenté cette année par le Rapporteur spécial de l’Onu sur le thème de « l’accessibilité économique à l’eau ». (28) Le rapport ne met pas en question l’obligation du paiement d’un prix abordable. Il est uniquement dédié à l’analyse comparative des formes multiples de “tarification sociale” adoptées en faveur des populations pauvres et en difficulté socio-économique dans les différents pays du monde. Le rapporteur spécial aurait dû cependant se rappeler que le droit à l’eau n’est pas une question de politique sociale en faveur des pauvres. Répétons-le : le droit à l’eau fait partie de la politique des droits universels. 

      On pense, également, à l’adoption par l’Assemblée spéciale de l’ONU réunie à Vienne fin septembre 2015, du nouvel Agenda Post-2015 (pour les 15 prochaines années) et, en particulier des Objectifs du Développement Durable (après les Objectifs du Millénaire pour le Développement 2000-2015). L’Agenda Post-2015 mentionne l’accès à l’eau pour tous à un prix abordable. (29)

      On pense, enfin, au rapport  d’initiative parlementaire européenne sur « Suites à l’initiative des citoyens européens Right2Water), le rapport Boylan, du nom de l’eurodéputée irlandaise en charge de sa rédaction approuvé en séance plénière le 8 septembre 2015 (30) Il s’agit d’un document et d’un vote très importants au sujet de l'ICE en tant qu’instrument de démocratie participative, du droit à l’eau et à l’assainissement, des services hydriques et le marché intérieur, de la politique étrangère et de la politique du développent de l’UE dans le domaine de l’eau. Comme le rapport le précise, il constitue une nouvelle tentative de la part du Parlement européen de pousser l’UE vers l’adoption d’une politique du droit à l’eau plus claire, précise et correcte. 

      Ainsi, le rapport Boylan invite la Commission à reconnaître clairement l’importance du droit humain à l’eau et à l’assainissement en tant que bien public et  comme une valeur fondamentale  pour tous les citoyens de l’UE, et non pas comme marchandise. Dès lors, le rapport  s’oppose à la  suspension des services hydriques et à l’interruption de la fourniture  d’eau’ considérées une violation des droits humains. Il dénonce l’ambiguïté de la Commission qui prétend d’être neutre en matière de modes de gestion des services hydriques alors que non seulement la Directive Cadre Européenne sur l’eau impose l’application du principe de la rémunération du capital (profit), mais également, ces dernières années, la Commission a imposé à certains Etats membres (Irlande, Espagne, Portugal, Italie, Grèce…) dans le cadre du pacte de stabilité de procéder à la privatisation des services hydriques en tant que condition pour le maintien des programmes de soutien financier. Le rapport, également, demande que l’UE exclut de manière permanente et contraignante la soumission de l’eau à tout accord commercial ou traité international et que la propriété publique de l’eau soit sauvegardée et encouragée, réservant le recours au secteur privé uniquement pour certaines taches gestionnaires très spécifiques. Enfin, il affiche sa préférence pour les partenariats public-public et  soutient la priorité à donner à la gestion par les Communes, dans une logique favorable au développement local et à la participation effective des citoyens à la gestion de la res publica

      En ce qui concerne spécifiquement le droit à l’eau, le rapport réaffirme avec force que le droit à l’eau ne peut pas être soumis, et donc conditionné, aux logiques du marché.  C’est, cependant, sur la question centrale du financement des coûts du droit à l’eau que le rapport Boylan aussi montre une limite majeure, un élément clé de faiblesse. Lui aussi s’arrête devant le mur de l’eau, il ne cherche pas à ouvrir une brèche. Il ne propose pas la mise en question du paiement d’un prix abordable. Il s’arrêt aussi à la proposition d’une tarification sociale efficace. C’est dire la puissance du mur. On comprend que s’il avait abordé ces aspects, le rapport n’aurait jamais été approuvé en raison de l’opposition ferme de la part de la majorité actuelle au sein du Parlement européen largement favorable aux thèses efficientistes, marchandes et financières... 


Peut-on espérer et envisager un jour de l’abattre ?     





Notes
(23) C’est l’essentiel de la conception dite ‘l’école française de l’eau », dont  les tenants et les aboutissants sont décrit par Riccardo Metrella dans Le mnaifeste de l’eau, Editions Labor, Bruxelles, 1997.
(25) Des thèses chaudement défendues et promues par la Commission européenne dans la DCE-EAU 2000 et dans Water Blueprint
(26) Un beau film à ce sujet est Banking nature, de Denis Delestrac and Sandrine Feydell, Icarus Films. Il a été diffusé en français par ARTE le 3 février 2015 sous le  titre Nature, le nouvel eldorado de la finance 
(27) Le principe de la financiérisation de la nature a été confirmé par la Résolution finale du Troisième Sommet de la Terre de l’ONU de 2012 (« Rio+20 »)
(28) Rapport du Rapporteur Spécial sur le droit humaiin àl’eau potable, L’accessibilité économique de l’eau, 5 aoû t2015 http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session30/Documents/A_HRC_30_39_FRE.DOCX




Riccardo Petrella sera présent à Orléans le vendredi 11 mars




Vous êtes cordialement invité-e-s à cette soirée qu'Eau Secours organise avec le Réseau Forum des Droits Humains



mercredi 17 février 2016

Le mur de l'eau, la négation du droit humain à l'eau (2)



Nous vous invitons à la conférence-débat "Au nom de l'Humanité, l'audace militante" qu'animera Riccardo Petrella le 11 mars 2016 à 20h30 à la Médiathèque d'Orléans.

Cette soirée qui est à l’initiative d’Eau Secours est organisée par le Réseau Forum des Droits Humains





LE  MUR  DE L’EAU
(2è partie)
La négation du droit humain à l'eau
               

Document de recherche de l’IERPE
Rédigé par Riccardo Petrella
Novembre 2015




1. L’impasse de l ’Europe à propos du droit à l'eau et de l'eau bien commun public

      L’ICE  sur l’eau (Right2Water) proposait à la Commission européenne  de prendre les mesures législatives pour reconnaitre le droit humain à l'eau dans les Traités constitutifs  de l'Union européenne et pour traiter l'eau comme un bien commun public ( et non pas comme une marchandise, un bien économique soumis aux logiques du marché).(3) L'ICE-Eau a été  un succès populaire: elle a été la première ICE sur les 52 soumises, à partir de novembre 2012  à l'obtention d'admissibilité,  à  surmonter tous les obstacles et terminer avec  plus de 1,9 millions de signatures certifiées, collectées dans plus de 7 pays  membres de l'UE. Pourtant,  la Commission européenne n'a donné aucune suite concrète aux demandes de l'ICE-Eau, comme elle aurait dû le faire, prétextant  qu'elle avait déjà réalisé ce que l'ICE demandait en matière de droit à l'eau et de sauvegarde de l'eau en tant que bien commun. (4) 


      Lors d'une audition  du Parlement européen sur l’ICE-Eau en février 2014 (5) et de la résolution ci-dessus mentionnée,  la grande majorité des responsables politiques européens a cru expliquer l'aptitude de la Commission et l'impasse politique ainsi créée  en faisant référence uniquement à des imperfections, limites et lacunes institutionnelles et organisationnelles (aspects financiers inclus) propres à l'instrument ICE. Incontestablement, ces raisons ont eu une influence importante sur la manière par laquelle la Commission européenne a exploité à son avantage politique les résultats de l'ICE. L'élément politique principal réside, cependant, dans le fait  que  les pouvoirs technocratiques oligarchiques européens actuels acceptent de moins en moins l'intervention  de mécanismes de démocratie représentative et directe dans l'exercice de leurs pouvoirs et compétences. 


      Dernière preuve éclatante  de cette tendance, fin octobre 2015, le véritable coup d'Etat perpétré par le président de la République du Portugal, sous la pression de la technocratie européenne,  en décidant de confier la formation du nouveau gouvernement aux forces politiques de centre-droit et de la droite  favorables à la politique de l'austérité mais qui ont perdu les élections et non pas aux forces de gauche sorties victorieuses et majoritaires des élections. Le prétexte invoqué par le Président est simplement scandaleux : (il est de mon devoir de) faire tout ce qui est dans mon pouvoir pour empêcher d'envoyer des faux messages aux institutions financières, aux investisseurs et aux marchés". (6) Autrement dit, selon le président de la République du Portugal, la volonté exprimée librement par la majorité du peuple portugais  ne compte pour rien, ce qui compte est de répondre "correctement" aux attentes et aux intérêts des acteurs financiers.  La démolition effective  de la démocratie  européenne et dans ces affirmations.  Elles reprennent les mêmes principes à la base des Traités CETA et TTIP en train de négociation entre l'Amérique du Nord et l'Union Européenne, parmi lesquels figure la primauté donnée aux investisseurs sur les Etats. (7) 


      L’évolution récente en Italie dans le domaine du droit à l'eau pour la vie et du caractère public de bien commun public de l'eau est, à cet égard, emblématique de la situation prédominante en Europe, notamment en France, au Portugal, au Royaume-Uni, en Espagne, en Pologne et dans les pays du centre-est de l'Europe.  Je pense en particulier à la condamnation du maire de Bologne par la magistrature  en raison du fait qu'il a ordonné  en 2014, de rétablir la connexion au réseau de distribution d'eau potable à des familles qui occupaient illégalement des édifices publics en abandon; (8) à la réprimande adressée publiquement il y a quelques mois au maire de Saracena, une petite commune de la Calabre, par l'Autorité en charge du Gaz, de l'Electricité et du système hydrique  parce qu'il applique des tarifs trop bas par rapport aux tarifs normalisés imposés au plan national par l'Autorité qui est ouvertement favorable à la gestion privée, efficiente et rentable du service hydrique; (9) à l'adoption d'une nouvelle loi régionale sur l'eau en Sicile et son immédiate mise en question devant la Cour constitutionnelle de la part du gouvernement central opposé aux principes défendus dans la loi sicilienne (l'eau bien commun public, reconnaissance du droit à l'eau  sous forme de 50 litres par jour  par personne rendus disponibles et pris en charge par la collectivité moyennant  la constitution d'un fond de solidarité envers les familles les plus démunies, etc..); (10) aux pollutions persistantes des eaux dans toutes les régions italiennes à cause de la mauvaise gestion du traitement des eaux usées et des décharges illégales (l'Italie a fait l'objet en 2015 d'une troisième procédure pour infraction à la directive européenne sur les eaux usées concernant 41 agglomérations urbaines couvrant environ 900 communes dans 12 régions). (11)


Eh bien, que doit-on tirer comme indications, "leçons", de ces faits divers et apparemment anecdotiques? 

      ( a ) Par la mise en question de la nouvelle loi régionale sicilienne, le gouvernement confirme la tendance forte au sein des classes dirigeantes italiennes et européennes non seulement à l'opposition à toute tentative de re-publicisation de l’eau et des servisse hydriques, mais aussi, comme démontré par le décret gouvernemental italien "Sblocca Italia" et le "Pacte de stabilité" européen,  à vouloir  renforcer les règles structurelles favorables à la privatisation et à la marchandisation des services hydriques de sorte à  rendre difficile, voire impossible, tout retour à une gestion publique de "l'eau pour la vie". 

     L'objectif des groupes sociaux dominants est la consolidation d'un système économique hydrique européen fondé sur un réseau d'entreprises oligopolistiques multi-utilities à l'échelle du marché intérieur et actives en Bourse, ouvertes à la compétitivité internationale avec le soutien des pouvoirs publics dans le cadre de partenariats public-privé (le Water Blueprint de la Commission européenne de 2012 parle explicitement de l’importance cruciale du développement d'un modèle économique de l'eau, dont la monétarisation de l'eau est une condition nécessaire et indispensable). (12)


      Cette vision marchande et capitaliste a été imposée dès 1992-93 par la Banque Mondiale selon laquelle la meilleure gestion  intégrée des ressources  hydriques (ce qu’elle a appelé le modèle IWRM (Integrated Water Ressources Management, GIRE en français) passe par  l'établissement d'un prix de l'eau aux coûts de marché sur la base du principe de la récupération des coûts totaux y compris la rémunération du capital (le profit). (13) Un principe appliqué immédiatement  par la principale loi sur l'eau adoptée en Italie (la loi Galli) en 1994 et, puis, généralisé au plan européen par l'art. 9 de la Directive Cadre Européenne sur l'eau (DCE-Eau 2000). (14)
      Cela explique le grand aveuglement des classes dirigeantes italiennes qui, face au rejet massif de la part de 27 millions d'Italiens ayant voté en juin 2011 par voie référendaire en faveur de l'abolition de l'inclusion dans le tarif du mètre cube d'eau d'une partie destinée à rémunérer le profit,  ont décidé d'ignorer complètement les résultats du referendum, prétextant même que ls Italiens n'avaient pas compris ce qu'ils avaient voté. Depuis,  elles continuent à ne pas respecter le vote référendaire. (15)

     Au fait,  ( b ) l'Italie est gouvernée depuis plus de 4 ans par une classe politique  en état d'illégitimité constitutionnelle ne voulant pas respecter les résultats référendaires. Une classe  qui,  comme c'est le cas aussi dans d'autre pays de l'UE, est en outre  dans un état d'illégalité depuis plus de vingt ans par rapport aux directives européennes en matière de qualité des eaux.
 
      ( c ) la condamnation du maire de Bologne et les critiques au maire de Saracena ("coupable" de faire  payer des factures très basses de l'eau sans mettre en péril les finances communales), comme les coupures d'eau de plus en plus fréquentes partout en Europe aux personnes/familles moroses, (16) démontrent, enfin, une troisième caractéristique majeure de la culture politique et des pratiques sociales prédominantes en  Italie et en Europe en matière d’eau, à savoir: les oligarchies au pouvoir n'acceptent pas que l'accès à l'eau soit un droit humain exempté de l'obligation du paiement d'un "prix abordable". Il faut payer, imposent-elles,  même en ce qui concerne la quantité minimale de 50 litres par jour par personne (considérée par l'OMS et l'UNICEF comme la mesure de base du droit à l'eau).(17) Elles n'acceptent plus que les coûts monétaires du droit à l'eau soient couverts par la collectivité par la voie de la fiscalité générale et spécifique. 


      Actuellement, n'est-il pas vrai que la plus grande fierté de nos dirigeants  politiques consiste à montrer qu'ils ont été capables de baisser les taxes plus que les autres ? Il faut, dans ce cas, leur demander d'expliquer par quels moyens les gouvernements peuvent continuer  à financer les dépenses publiques et les obligations qui leur revient pour garantir les droits humains et sociaux. 

      Rappelons que le 28 juillet 2010, une résolution de l'Assemblée Générale de l'ONU a reconnu, pour la première fois dans l'histoire de la communauté internationale, que l'accès à  l'eau potable et à l'assainissement est un droit humain. (18) Dès lors, il revient à tous les Etats du monde l'obligation de le garantir en égalité pour tous. Autrement dit, garantir le droit humain à l'eau n'est pas une question de choix politique  laissé à la discrétion de chaque  Etat. C'est une obligation découlant des dispositions juridiques internationales contraignantes. (19) Certes, 11 Etats membres de l’UE  (sur 27 en 2010) ont voté contre la résolution de l’ONU, mais elle est devenue un acte législatif contraignant pour tous les Etats membres de l'ONU.

        Or, avant et malgré la résolution, une toute autre pratique s'est développée à travers le monde, en particulier en Europe (où siègent les principales entreprises multinationales privées de l'eau au monde, au sommet desquelles se trouvent les multinationales françaises et britanniques). Elle est  inspirée par l'idée que, certes, on peut accepter le principe du droit universel à l'eau potable , mais  que, pour qu'un tel droit puisse devenir réel, il faut que le citoyen/consommateur paie les factures de l'eau: c'est au consommateur, affirme-t-on, qui tire une utilité vitale de l'usage de l'eau, qu'il revient de couvrir les coûts importants liés à la "production" et à l'accessibilité à  l'eau potable et, cela, en fonction de sa consommation/utilité.  Pas de paiement, pas d'accès au droit ! Cette pratique a été avalisée aussi par le Conseil des droits humains de l'ONU (composé par des représentants des Etats) par son "Observation générale 15 "de 2002, considérée par tous comme la base juridique à partir de laquelle l'ONU a conçu la résolution de 2010. Dans son Observation, le  dit Conseil a admis la condition du paiement d'un prix abordable. (20) Si bien que même les promoteurs de l'ICE Right2Water "ont du" parler d'accès à prix abordable lorsqu'ils ont expliqué ce qu'ils entendaient par "droit à l'eau", autrement la Commission européenne aurait pu refuser l'admissibilité de leur ICE. (21) 


      C'est dire que la culture qui désormais prévaut, même au sein de certains segments importants de la société civile mondiale,  est de considérer que l'accès au droit à l'eau comporte nécessairement le paiement d'un prix abordable. (22)

      C'est cela,  le mur de l'eau: on a le droit si on paie. 




Notes
 (3) Sur l'ICE voir la fiche technique établie par les services du Parlement européenhttp://www.europarl.europa.eu/atyourservice/fr/displayFtu.html?ftuId=FTU_2.1.5.html
(4) Marion Veber et Riccardo Petrella, "La réponse de la Commission européenne suite à l'Initiative Citoyenne Européenne (ICE) sur l'eau". Analyse de la réponse de la Commission et explication de la réaction mitigée des promoteurs de l’ICE sur l’eau suite à cette réponse, dans RAMPEDRE (Rapport Permanent Mondial on line sur le Droit à l'Eau, www.rampedre.eu, 24 septembre 2014
(5) L'audition par la Commission Environnement du PE a eu lieu le 17 février 2014. Le 8 septembre 2015, les députés européens regrettent que la communication de la Commission européenne pour répondre à l'ICE "l'eau, un droit humain" et à l'audition du Parlement de février 2014 "soit sans ambition, ne réponde pas aux demandes concrètes exprimées dans l'ICE et se limite à réitérer les engagements déjà pris"."Si la Commission néglige des ICE couronnées de succès et largement soutenues [...], l'Union européenne en tant que telle perdra en crédibilité aux yeux des citoyens", affirment les députés. Cfr http://www.europarl.europa.eu/news/fr/newsroom/content/20150903IPR91525/html/Initiative-citoyenne-l'eau-un-droit-humain-la-Commission-doit-agir
(6) Cfr La Tribune, du 23 octobre 2015
(7) Michel Cermak http://www.cncd.be/Traite-transatlantique-repondons17 juin 2014
(9) L’option définitive par les dirigeants politiques italiens en faveur de la marchandisation de l’eau et de la privatisation des services hydriques a trouvé une évidence sans faille dans la décision de supprimer le CO.VI.RI (Comité de Vigilance sur les Ressources Hydriques, institution publique sous la tutelle du Ministère de l’Environnement et responsable d’un rapport annuel au Parlement italien sur l’état des services hydriques) ) et de confier la responsabilité du système hydrique à une autorité en charge  de la concurrence dans le secteur énergétique (gaz et électricité) privatisé depuis longtemps,  l’Autorità per l’Energia Elettrica, il Gaz ed il sistema idrico (AEEG). L’AEEG est  devenue en 2013 l’AEEGSI en raison de l’élargissement de ses compétences au « Servizio Idrico ».
(10) Cfr, Assemblea Regionale Siciliana, LEGGE 11 agosto 2015, n. 19. Disciplina in materia di risorse idriche.
(11) Voir europa.eu/rapid/press-release_MEMO-14-470_fr.htm, 10 juillet 2014
(12) Le Water Blueprint, à savoir le « Plan de sauvegarde des ressources hydriques d’Europe » de la Commission eurropéenne, rendu public en novembre 2012, est incontestablement le document politique le plus s important de l’UE en matière d’eau après la DCE-Eau de l’an 2000. Le document consacre la vision marchande, industrialo-commerciale de l’eau et des services et donne pleine légitimité à la monétisation e financiérisation de l’eau et à au « gouvernement par les  stakeholders » . Pour une analyse approfondie du  Water Blueprint voir Riccardo Petrella, Mémorandum sur la politique européenne de l’eau, IERPE 2013, présenté à un groupe d’euro-parlementaires le 3 décembre 2013 au Parlement européen, téléchargeable dans www.ierpe.eu.
(13) Le manuel de la Banque Mondiale,  Integrated Water Ressources Management, 1993, est devenu la bible de la Banque mondiale et du monde entier en matière de gestion de l’eau. Son application a été utilisée par la BM comme une condition pour l’obtention  de prêts destinés au financement des infrastructures et des services hydriques par les pays « en voie de développement ». Ainsi, lorsque les grandes entreprises multinationales  privées  de l’eau créent en 1996, avec le soutien actif de la Banque mondiale, le Conseil Mondial de l’Eau (CME), un des instruments dont le CME se dote a été le Global Water Partnership (GWP) auquel fut confié la tâche de promouvoir et  diffuser les principes e les pratiques liés à http://www.france-libertes.org/-Coupure-que-faire-.htmll’IWRM dans le monde entier.
(15) Au sujet du non respect du référendum voir la campagne de désobéissance civique « Il mio voto va rispettato », lancée par le Forum italien des mouvements pour l’eau. www.acquabenecomune.it
(16) Pour des informations plus détaillées à ce sujet, voir le programme de la Fondation France Liberté contre les coupures de l’eau, http://www.france-libertes.org/-Coupure-que-faire-.html

(17) L’OMS et l’UNICEF ont fait état de 50 litres  par jour par personne comme  quantité à garantir en tant que  droit à l’eau. Cfr. Le droit à l'eau- Office of the High Commissioner for Human ...

(18) Résolution de l’Assemblée Générale de l’ONU du 28 juillet 2010,

(19) Sur les processus qui ont conduit le Conseil des Droits Humains  de l’ONU à inclure le droit à l’eau dans le Pacte International des Droits, dont les droits  ont été rendu contraignants et donc justiciables, voir Florence Higuet,  La concrétisation du droit à l'eau : quelles obligations concrètes s'imposent,

RAMPEDRE, mise à jour 31 octobre 2014, www.rampredre.net et du même auteur La marche vers la justiciabilité du droit à l'eau au niveau international,mise à jour 5 novembre 2014,  www.rampedre.net

(20) Cfr. Observation générale n°15, 2002 du Conseil des Droits Humains, ONU
(21)     Marion Vener et Riccardo Petrella, op.cit. à la note 4
(22) La mainmise financière privée sur les services publics de l’eau a été avalisée et légitimée à l’occasion de la Conférence Internationale de l’ONU à Monterrey en 2003 sur le financement de l’eau dans le monde. Cfr Conseil Mondial de l’Eau, Financer l'eau pour tous. Rapport du Panel mondial sur le financement des infrastructures de l'eau, 72 pp, 2003,  sous la présidence de Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds Monétaire International.